
01 Juin Critique restaurant Manoir StoneHaven : une table aux grandes ambitions
Avant d’entrer dans le cœur de mon expérience 24h sous le toit (et dans le spa) du Manoir StoneHaven, un préambule relatif à ce manoir — résidence de Douglas Lorne McGibbon au début du XXe siècle —, est de mise.
1908, Sainte-Agathe-des-Monts. Le jeune homme au nom de McGibbon, qui a fait fortune dans le caoutchouc, est frappé par tuberculose. Même s’il était âgé que dans la début vingtaine et voyant son nombre de jours compté, ce dernier décida de mandater près de 200 travailleurs pour construire sa « maison de fin de vie », le temps qu’il séjournait dans un hôpital de New York pour se faire guérir.
5 ans plus tard et la demeure enfin terminée (et voyant qu’il était toujours en vie et en santé), il décida de vivre sa vie à fond : feux d’artifice surplombant le Lac des Sables tous les weekends, soirées arrosées dans la salle de bal qui se terminaient au petit matin avec une partie de squash… Clairement, McGibbon avait non seulement le cœur en fête, mais avait un grand cœur en partageant ses avoirs, son terrain (et ses légumes) aux gens de Sainte-Agathe, sans oublier la construction du premier sanatorium au Canada pour venir en aide à un maximum de personnes malades.
Une vraie histoire digne de Gatsby : le jeune à la richesse incroyable, approchant maintenant la cinquantaine, n’a plus un sou et est frappé par une autre maladie. Il se laissa donc mourir doucement dans sa demeure, au côté de sa femme qui fit pareillement.
Retour dans le présent, ou plutôt, en 2015. L’établissement est repris par Georges Coulombe, un promoteur qui est spécialisé dans le rétablissement de bâtisses patrimoniales. Après quelques années de construction, le nouveau Manoir StoneHaven voit le jour… Et vois grand, avec 34 chambres — et 18 autres très bientôt au petit manoir adjacent —, une piscine, un spa, un sauna, un hammam, bientôt un terrain de tennis et une équipe en restauration qui n’a rien à envier aux plus grandes tables de Montréal.
Justement, parlons-en, de cette offre gastronomique, dont l’équipe est savamment dirigée par le très talentueux et technicien chef Éric Gonzalez (Le Lutétia, L’Auberge Saint-Gabriel, L’Atelier Joël Robuchon, Le St-James). Ce n’est pas parce que le Manoir StoneHaven est situé à 1 heure de Montréal que le chef Gonzalez baisse la garde : c’est tout le contraire. On a droit à des plats qui exprime certes, son expérience et son passage à l’école Robuchon, mais surtout à une rigueur prodigieuse accentuée par des valeurs en cuisine où la qualité des ingrédients est fondamentale, avec un vouloir à tout prix de les sublimer – tant niveau visuel que gustatif.
Un chef en grande forme, avec de belles ambitions
L’expérience gastronomique du StoneHaven saura certainement rendre votre séjour encore plus remarquable. On se laisse charmer par la beauté des assiettes méticuleusement dressées, mais aussi admirablement présentées par le maître d’hôtel Richard, qui ne fait qu’augmenter le niveau d’énervement à plonger la cuillère.
Prenons cet amuse-bouche où toute référence au traditionnel arancino italien prend le large avec un riche et crémeux risotto au curry, déposé sur un hummus avec quelques aubergines confites, pois chiches rôtis, puis saupoudré de graines de sésame rôties et surplombées par une écume de lait de gingembre. Je suis dérouté. Je ne peux retenir ma cuillère pour replonger dans ce petit bol aux mille-et-une subtilités — mais tout bien pensé et surtout, avec une raison d’être. Amuse-bouche, je disais ?
Si la croquette de bœuf manquait un peu d’acidité malgré son condiment câpres et cornichons, je me suis réjoui sur la queue de langouste à la cuisson parfaite et caviar, déposés sur un fabuleux jus corsé de crustacés à peine crémé. Le seul élément qui m’a titillé dans ce véritable tableau concerne la purée de pommes de terre Gabrielle. Ou plutôt, la ciboulette finement hachée à l’intérieur qui oui, amène une texture craquante intéressante, mais qui en contrepartie, masque la pureté du caviar Oscietre exceptionnel de la maison Kaviari. Parce qu’entre vous et moi, un caviar qui craque et qui éclate en bouche est beaucoup plus intéressant qu’une brindille de ciboulette !
S’en ai suivi d’une autre fresque qui m’est fait bien peur et qui, encore aujourd’hui, me dérange : pétoncles, morilles, pois fourrager, pistou d’ail des bois (déjà ici, avec le duo de jus, ça aurait suffi !) mais on continue avec de la fregola sarda torréfiée, du bacon de sanglier et une tuile de parmesan. Quel contraste avec mon début de repas ! À me poser la question si je suis encore au même restaurant ? Je dois avouer que la fregola amenait une texture très intéressante, mais pour le bacon et la tuile de parmesan, je ne voyais pas de plus-value. Mention toutefois au duo de sauces, à savoir un jus de morilles crémé et un second tranché au Pedro Ximénez qui donnaient une richesse et une profondeur au plat.
Est ensuite arrivé un autre très bon coup de la soirée, un spaghetti au homard… façon Éric Gonzalez. Comme lui seul au Québec peut servir. Ouf ! Me voilà de retour au restaurant du chef. Tout en contraste avec le plat précédent, celui-ci se résume à : homard (queue, pince et bisque), puis spaghetti. Laisser parler la technique en sublimant les ingrédients… Une simplicité beaucoup plus complexe que l’on peut penser, sans oublier que c’est comme ça que l’on reconnaît les grands chefs.
Pour terminer la valse salée de la soirée, une interprétation du Liégeois absolument décadent composé d’une joue de bœuf braisée, de cubes de pommes de terre cuisinés comme un risotto, d’un jus de braisage et gelée au lard, surmonté d’une purée de pommes de terre comme un nuage (en siphon). Cette gourmandise qui enrobait bien le palais accompagnait un bœuf de l’Ile du Prince Édouard dont la cuisson a malheureusement été surpassée d’une minute, avec une déclinaison de carottes, pétales d’oignon et de quelques olives noires, dont je n’ai pas compris leur présence.
C’est avec l’estomac bien soudé — et une pause d’une trentaine de minutes —, que je plonge ma cuillère dans le prédessert citron et citron vert parfaitement acidulé, redonnant ainsi vie à mes papilles.
Je poursuis ma connaissance avec la cheffe pâtissière Kim Long en compagnie d’une autre de ses créations où l’abricot (confit, en crémeux et en gel), le miel (en mousse) et la lavande (en glace) forment un trio brillant et juste assez gourmand pour clore cette belle soirée.
Quelques mois seulement après avoir repris les commandes de l’ensemble de l’offre gastronomique du Manoir StoneHaven, on peut clairement confirmer que le chef Éric Gonzalez laisse déjà sa marque. Non, tout n’était pas parfait : je suis d’ailleurs certain que le chef lui-même le savait. Mais, malgré les petites ambiguïtés, j’y ai vu de la passion, du cœur et le désir d’être parfait.
Près d’une semaine après avoir vécu mon expérience et en écrivant constamment mes réflexions, mes impressions et mes arrière-pensées de ma soirée — toujours sans filtre —, je dresse mon dernier commentaire, à la fois un souhait, comme ceci :
Je veux voir un chef de restaurant de région qui n’a pas peur d’exprimer l’intégralité de son talent et surtout, avec une confiance immuable de présenter des plats épurés comme il sait si bien le faire — peu importe si son client vient de Montréal ou de la Gaspésie. Enfin, mon dernier petit souhait, autant pour notre bien-être que celui de la planète… je veux voir plus de légumes au menu !
Me vient une dernière question, que je laisse en suspens et dont seul le temps saura répondre… Verra-t-on le Manoir StoneHaven devenir le troisième établissement au Québec à entrer dans la grande famille Relais&Châteaux Hôtel + Restaurant ? Si vous voulez mon humble avis, avec l’ampleur de la restructuration du domaine et l’équipe derrière, je n’ai aucun doute.
No Comments